NOTE TECHNIQUE A L’ATTENTION DU COORDONNATEUR DU FCC
Concerne : Prorogation de l’état d’urgence sanitaire en RDC
I. Etat de la question
1-Selon la presse présidentielle, le Président de la République a écrit à chacun des Présidents des deux chambres du Parlement, en date du 17 avril 2020, pour solliciter la prorogation de l’état d’urgence sanitaire.
2-Nul n’est besoin de rappeler que l’ordonnance proclamant l’état d’urgence sanitaire pour faire face à l’épidémie de covid-19 prise en date du 24 mars 2020 par le Président de la République a été déclarée conforme à la Constitution par la Cour constitutionnelle via son arrêt R. Const. 1200 du 13 avril 2020.
3-Cette ordonnance porte non seulement proclamation de l’état d’urgence sanitaire mais aussi énumère les mesures y relatives d’application immédiate pour l’intérêt général de protéger la santé des populations congolaises, notamment l’interdiction de tous rassemblements, réunions et célébrations de plus de 20 personnes sur les voies et lieux publics en dehors du domicile familial.
4-En date du 20 avril 2020, le Chef de l’Etat a pris une nouvelle ordonnance, modifiant et complétant celle du 24 mars 2020, qui autorise les deux chambres à se réunir à plus de vingt personnes, dans les conditions de quorum prévues par la Constitution et leurs Règlements intérieurs respectifs « uniquement » pour statuer sur la prorogation de
l’état d’urgence.
5-Force est de relever que l’emploie de l’adverbe « uniquement » a donné lieu à une levée de boucliers et déchaîné suffisamment les passions en manière telle qu’une certaine opinion a pu y voir une tentative de concentration des pouvoirs. Une partie de
la classe politique et des analystes politiques y ont vu, à tout le moins, une violation du principe de la séparation des pouvoirs si tant est que l’ordonnance du Chef de l’Etat se montre directive en imposant même les limites dans lesquelles devraient se réunir les deux chambres du Parlement.
II. Observations
6-S’agissant de la prorogation de l’état d’urgence sanitaire, il ressort clairement de l’article 144 de la Constitution que l’ordonnance du 24 mars 2020 précitée cessera de plein droit de produire ses effets à l’expiration de trente jours, soit le 23 avril prochain, à moins que l’Assemblée nationale et le Sénat, saisis par le Président de la République, sur décision du Conseil des ministres, n’en aient autorisé la prorogation pour des périodes successives de quinze jours.
6- C’est donc à bon droit que le Président de la République a écrit, avant l’expiration du délai lui imparti de trente jours, à chacun des Présidents des deux chambres pour solliciter la prorogation de l’état d’urgence sanitaire.
7- Cependant, bien que les deux chambres du Parlement soient saisies par les courriers adressés à leurs Présidents respectifs par le Président de la République et non par l’ordonnance du 20 avril 2020, il y a lieu de regretter, en l’espèce, l’emploie de l’adverbe «uniquement » dans la susdite ordonnance. Par ce terme, le Président de la République impose aux deux chambres du Parlement le seul et unique point à leur ordre du jour. En cela, l’exécutif s’immisce dans les compétences dévolues au législatif. Il s’agit là, à ne point en douter, d’une violation du principe de la séparation des pouvoirs qui est l’un des piliers de l’Etat de droit.
8-Il est de bon droit que le législatif reste maître de son ordre du jour. Ainsi, le bureau de chaque chambre proposera parmi les points à l’ordre du jour celui à lui soumis par le Président de la République, et chaque plénière procédera au vote des points inscrits au susdit ordre du jour après débats.
9-Bien plus, pendant l’état d’urgence, le Président de la République ne peut au regard des dispositions constitutionnelles imposer des limites dans lesquelles l’Assemblée nationale et le Sénat devaient se réunir. Ainsi, l’ordonnance du 20 avril 2020 est superfétatoire.
10-Il est significatif de noter qu’il ressort de l’article 85 alinéa 3 de la Constitution combiné avec l’article 144 alinéa 2 de la même Constitution qu’après la proclamation de l’état d’urgence sanitaire par le Président de la République, l’Assemblée nationale et le Sénat auraient dû siéger de plein droit pour déterminer les modalités d’application de l’état d’urgence par une loi.
11-Il est également significatif de relever que selon l’article 144 alinéa 5 de la Constitution, l’Assemblée nationale et le Sénat peuvent, par une loi, mettre fin à tout moment à l’état d’urgence ou à l’état de siège.
12- En cette période où tous les segments de la nation sont unanimes pour reconduire
l’état d’urgence qui est une nécessité absolue, les choses devraient être faites dans les règles de l’art pour éviter toutes crises inutiles ainsi qu’une débauche d’énergies devant plutôt être déployées pour la conscientisation et la sensibilisation des populations. L’heure est donc à la cohésion nationale et à l’unité des populations congolaises autour de la riposte contre cette épidémie et non aux querelles stériles.
III. Avis et suggestions
13-Il est important de rappeler que la Constitution de 2006 est une œuvre post conflit qui vise manifestement à assurer le compromis et l’équilibre entre principales institutions, à savoir l’exécutif, le législatif et le judiciaire.
14-En l’espèce, le Président de la République est tenu de soumettre à la Cour constitutionnelle l’ordonnance du 20 avril 2020 modifiant et complétant celle du 24 mars 2020, et ce, conformément à l’article 145 de la Constitution combiné avec l’article 46 de la loi organique sur l’organisation et le fonctionnement de la Cour constitutionnelle qui disposent que les ordonnances prises par le Président de la République en cas d’état d’urgence ou d’état de siège sont, dès leur signature, soumises à la Cour constitutionnelle qui, toutes affaires cessantes, déclare si elles dérogent ou non à la Constitution.
15-Au regard des éléments exposés ci-avant, la Cour constitutionnelle pourra mettre à néant les dispositions de l’ordonnance qui énervent la Constitution notamment celles qui violent le principe de la séparation des pouvoirs.
16-Par ailleurs, il convient de noter que les principales institutions de la République étant animées par les membres d’une même coalition, en l’occurrence FCC-CACH, l’harmonie et la cohésion devraient régner dans leurs rangs respectifs. Avant la prise des grandes décisions sur l’avenir de la nation, les états-majors de ces deux plates-formes devraient se concerter.
17-Il est clair que l’absence de dialogue entre alliés génère des frustrations et des frictions qui conduiront inexorablement à la méfiance mutuelle et finiront par ruiner le pacte. Il est dès lors urgent de mettre en place une structure servant de cadre de concertation permanente entre le FCC et le CACH, ainsi qu’un corpus minimum des règles de bonne conduite entre alliés pour la survie de la coalition.
18-Il n’est jamais tard pour bien agir.
Haute considération.