Dans sa livraison du 17 mai 2021, Africa Intelligence avait anticipé sur les intentions du Rwanda sur les minerais congolais à travers l’article intitulé «Kinshasa veut reprendre le contrôle du coltan face à Kigali». Selon ce média, une levée de boucliers était observée, entre autres, à Kigali depuis l’annonce de la joint-venture SAKIMA (Société aurifère du Kivu et du Maniema)-CDMC (Coopérative des Artisanaux Miniers du Congo) aux fins de la construction d’une usine de transformation industrielle de coltan, avec à la clé l’érection d’une raffinerie de ce minerai dans le Nord-Kivu. Et de noter que «cette initiative congolo-congolaise s’inscrivant dans le cadre de la maîtrise du flux des minerais sur le territoire national en vue d’une valeur ajoutée au Congo est une arme fatale contre ses voisins».
Effectivement, la signature le 26 juin 2021 à Goma d’un accord commercial portant sur l’exploitation de l’or entre SAKIMA et DITHER LTD, une entreprise rwandaise, lève un coin de voile sur la convoitise des minerais congolais par le Rwanda qui, cette fois-ci, pourrait les acquérir sans kalachnikov. C’est une initiative à saluer pour la promotion de la paix et du commerce dans la région des Grands Lacs et dans la Communauté Economique de l’Afrique de l’Est à laquelle la RDCongo est en train d’adhérer.
Seulement voilà, celle-ci, comme toutes les autres à venir, ne doivent pas étouffer les ambitions des Congolais qui veulent se mettre, selon le vœu du président Félix Antoine Tshisekedi, sur l’orbite des millionnaires et être compétitifs dans le cadre de la ZLECAF dont le ce dernier tient le flambeau depuis son avènement à la tête de l’Union Africaine. D’ailleurs, des avantages doivent être accordés aux Congolais pour les consolider dans leur entreprise.
Le «Gouvernement des Warriors» est donc appelé à développer des politiques équivalentes comme dans les pays voisins, faisant de l’érection des raffineries des minerais sur place une priorité nationale.
Sama Lukonde appelé à changer de paradigme
La nature a choyé la RDCongo. Elle a fait, entre autres, d’elle un scandale géologique. Son sol et sous-sol regorge des minerais convoités dans l’industrie de haute technologie (aéronautique, électronique,….), notamment l’étain, le tantale, le tungstène, l’or, le wolframite, etc. Elle contient aussi le cobalt, très prisé présentement dans la construction des véhicules électriques, et beaucoup d’autres substances, dont le cuivre. Ces minerais ne sont pas seulement en abondance, mais ils ont également des teneurs très élevées.
Aussi le Congo dispose-t-il d’une main-d’œuvre importante qualifiée pour la prospection, l’extraction et la valorisation desdits minerais, même si celle-ci s’accommode jusque-là des méthodes minières traditionnelles. Il y a donc nécessité de moderniser le secteur minier afin de tirer parti de tous les avantages induits sur fond d’une valeur ajoutée avec incidence sur les recettes fiscales, la compétitivité, les emplois industriels qualifiés et bien rémunérés, les facilitations du transport international, etc.
Avec toutes ces faveurs offertes par la nature – en sus du mouvement démocratique qui traduit l’attachement de son peuple à sa nation – le Congo devrait se retrouver en tête au monde dans la production des minerais, notamment ceux largement connus sous la dénomination de 3T’s + G (étain, tantale, tungstène et or).
Paradoxalement, ceux-ci quittent souvent son territoire sans qu’il n’en tire profit sur le plan de recettes fiscales. Bref, ces minerais profitent plus à ses voisins. Lesquels ont mis en œuvre des politiques agressives qui rendent plus attrayante l’exportation des minerais congolais à partir de leurs territoires ; battant ainsi en brèche les exportations légales du Congo.
Au-delà du Gouvernement, les Congolais ne devraient pas pour autant rester les bras croisés et se répandre dans des jérémiades du fait des actions de leurs voisins, décidés à maintenir un certain rapport de force à leur avantage. Leurs actions ne doivent pas se limiter dans les réseaux sociaux. Ils doivent plutôt faire usage de leurs droits démocratiques chèrement acquis pour faire pression sur leurs dirigeants afin de créer un avantage commercial pour leur pays. Dans cette perspective, ce qui est attendu du Gouvernement Sama Lukonde dit «Gouvernement des warriors», c’est de changer de paradigme sur fond d’une nouvelle perception de la gouvernance du pays en général et celle des ressources naturelles en particulier. Ce qui serait une traduction de la vision du président Félix Antoine Tshiskedi à travers l’Union Sacrée de la Nation tenue à rompre avec les pratiques rétrogrades d’autrefois.
Cependant, les Congolais doivent garder un œil sur les gouvernements autoritaires des pays voisins et jouer de l’intérieur pour influencer la politique de l’exécutif de leur pays à leur endroit. Même si les guerres ouvertes contre le Congo sont de plus en plus un souvenir, ils doivent être vigilants pour éviter l’exploitation de leur économie par des gouvernements qui peuvent prendre des décisions et mettre en œuvre leurs souhaits plus rapidement que ne le permettent leurs institutions démocratiques.
En effet, Kigali et Kampala, entre autres, ont des taux de taxes à l’exportation de minerais bien inférieurs à ceux du Congo. D’autre part, la myriade de taxes locales et nationales qui sont en vigueur dans ce dernier rend problématique le respect des obligations et complexifie leur application, à la limite imprévisible. Autrement dit, le fait d’avoir une approche moins favorable aux entreprises en matière de fiscalité minière ouvre le pays aux politiques de ses voisins qui encouragent l’exportation de minerais de leurs pays, en lieu et place de ceux de la RDCongo, sous forme d’évasion fiscale.
A la différence du Japon et de la Chine dont la croissance exploitait, à l’ère de la paix, le lent processus démocratique aux États-Unis et en Europe pour conclure des accords commerciaux favorables et voler la technologie occidentale, le Rwanda et l’Ouganda tentent, par contre, d’utiliser leurs méthodes autocratiques pour mettre en œuvre des politiques qui permettent à leurs pays d’exploiter les richesses minières de la RDCongo.
Kigali et Kampala : cap sur la construction agressive des raffineries
Problème majeur, l’évasion fiscale n’est pas le seul avantage que s’offrent les voisins du Congo. Ils ont, en plus d’infrastructures idoines en matière de transport, des taux de crédit de fonds de roulement de plus en plus bas. En outre, ils négocient des meilleurs tarifs pour des programmes de conformité coûteux, dont les États-Unis et l’Europe ont besoin pour la vente des minerais.
Pris dans leur ensemble, ces avantages réduisent considérablement les coûts d’acheminement des minerais à travers les pays voisins au détriment du Congo. Il s’ensuit que les négociants, sans éthique, rompus dans le commerce de la contrebande, payent davantage aux producteurs congolais au préjudice de ceux qui, dans le pays, ne transigent pas avec le devoir de diligence et se conforment aux règlementations nationales.
L’étape d’acheminement à moindre coût des minerais à travers leurs pays étant franchie, l’Ouganda et le Rwanda ont mis en œuvre des politiques visant à encourager la construction des raffineries par des consortiums internationaux courtisés de manière agressive. Cela en garantissant des taux de financement bas pour les projets et le fonds de roulement dont les lignes de crédit utilisées pour l’achat des matières premières sont rendues plus attractives que les taux disponibles pour les négociants du secteur minier de la région. Par ailleurs, la levée des obstacles règlementaires à la construction des raffineries et l’élaboration des règlementations de provenance plus souples pour les citoyens ont facilité l’approvisionnement des raffineries. De la sorte, les frais de licence négociés ainsi à faible coût favorisent l’achat légal des minerais, souvent près de la frontière de la RDCongo. Ce qui légalise, du reste, la contrebande.
Des avantages énormes pour le pays hôte
Point de doute. Les raffineries et usines de fabrication apportent d’énormes avantages au pays hôte. Elles impliquent de nombreux postes de main-d’œuvre qualifiée bien rémunérés. Le développement des compétences des employés hautement qualifiés et la véritable expérience de travail qui en résultent sont vitaux pour tout pays en voie de modernisation, en l’occurrence le Congo.
Outre les emplois bien rémunérés, les raffineries apportent une compétitivité accrue, surtout en Afrique centrale. En effet, une raffinerie supprime de nombreux obstacles au transport international des minerais. Ce qui donne lieu à la facilitation du transport qui est fondamentale pour la compétitivité des pays d’Afrique centrale appelés à expédier les produits du centre du continent aux entreprises manufacturières de haute technologie en Asie, en Europe et aux États-Unis.
L’exemple de la Centrafrique est patent. Pays enclavé, ses minerais sont acheminés au port de Dar es Salaam par camions. La métropole tanzanienne ayant toute une fortune en matière de vol de minerais, il va de soi que l’assurance pour ce camionnage et les formes d’expédition sécurisées sont à la fois onéreuses et spécialisées. Les camions voyagent souvent avec une sécurité armée, non sans compter l’emmagasinage des cargaisons dans des endroits sûrs et coûteux de l’infrastructure portuaire tanzanienne.
Bien entendu, avant leur embarquement dans des bateaux à destination des consommateurs finaux. En effet, il ne reste plus que quelques compagnies maritimes qui desservent Dar es Salaam et nombre d’entre elles ont des règles internes qui leur interdisent d’accepter des cargaisons de minerais de 3T. Ces dernières années, la situation s’est aggravée en raison de la consolidation des compagnies maritimes internationales, consolidation à même de se raffermir à la suite des perturbations dues au COVID-19. Si donc les voisins du Congo réussissent à construire des raffineries, la rumeur veut que leurs propriétaires exercent des pressions politiques, par l’intermédiaire de leurs alliés anglais et américains, pour susciter des inquiétudes concernant les expéditions de minerais de Dar es Salaam avec les compagnies maritimes résiduelles.
Il va donc sans dire que, sans aucune procédure moins onéreuse pour exporter les minerais de la RDCongo par bateau, ces raffineurs ayant aussi la capacité de rendre certains minerais de 3T impossibles à transporter par navire depuis le Congo, il n’y aurait que les raffineries des voisins comme clients. La RDCongo serait dans la position peu enviable de devoir accepter le prix que dictent ses voisins délicats, et non de pratiquer le prix réel de ses minerais.
Des meilleures perspectives pour la RDCongo
Les avantages des raffineries sont énormes. Si la RDCongo raffine ses propres concentrés, elle aurait non seulement des avantages sur ses voisins, mais ses raffineries pourraient être plus grandes, car disposant de plus de minerais dans la région.
En effet, les raffineries doivent être construites à l’échelle appropriée pour être rentables ; le coût unitaire de l’exploitation étant fonction du volume. Seule à disposer dans la région d’immenses gisements, la RDC a réellement un volume minier suffisant, notamment dans le secteur des 3T’s + G, pour justifier des grands projets de raffineries de «classe mondiale». Ses petits voisins ne peuvent pas se permettre l’exploitation des raffineries à grande échelle sans les minerais en provenance du Congo.
De plus, ces raffineries pourraient accepter des minerais trop difficiles à transporter à l’international venant des pays voisins en raison d’impuretés dont l’expédition est restreinte. En d’autres termes, ces concentrés pourraient être raffinés en toute sécurité dans le pays et purifiés en produits faciles et efficaces à transporter dans n’importe quel pays du monde. Une telle modernisation réduirait le transport à une part presque négligeable du coût final et créerait un avantage considérable pour le Congo.
A toutes fins utiles, la RDCongo doit donc faire de la construction des raffineries une priorité nationale. Toutes les mesures nécessaires doivent être prises pour maîtriser le flux des minerais sur le territoire national en vue d’une valeur ajoutée. Le pays a non seulement besoin des recettes fiscales bien règlementées pour son développement et le bien-être de ses citoyens, mais aussi d’emplois industriels bien rémunérés. Ce qui appellerait à une bonne protection des frontières pour dissuader la contrebande.
Mais à l’inverse, on devra faire montre de la capacité de payer à l’intérieur, pour les minerais congolais, un prix rémunérateur aux producteurs locaux. Si des prix plus élevés sont payés à l’intérieur, il y a lieu de réduire la pression économique pour faire fuir des minerais à travers les frontières congolaises.
La maîtrise du flux des minerais sur le territoire national en vue d’une valeur ajoutée au Congo est une arme fatale contre ses voisins. C’est ce qui justifie levée de boucliers de plus en plus perçue dans certaines capitales, notamment à Kigali, tel que cela transpire de l’article d’Africa Intelligence du 17 mai 2021 intitulé «Kinshasa veut reprendre le contrôle du coltan face à Kigali». Le Gouvernement rwandais ne verrait pas d’un bon œil l’initiative congolaise à travers la joint-venture SAKIMA-CDMC (Coopérative des Artisanaux Miniers du Congo, une entité de traitement) aux fins de la construction d’une usine de transformation industrielle de coltan, avec à la clé l’érection d’une raffinerie dans le Nord-Kivu pour produire le sel de tantale.
Des forces seraient mobilisées tant à l’interne qu’à l’externe pour décourager cette initiative qui va contribuer à la modernisation du secteur minier congolais.
La signature le 26 juin 2021 à Goma d’un accord commercial portant sur l’exploitation de l’or entre SAKIMA et DITHER LTD, une entreprise rwandaise, lève un coin de voile sur la convoitise des minerais congolais par le Rwanda qui, cette fois-ci, pourrait les acquérir sans kalachnikov. C’est une initiative à saluer pour la promotion de la paix et du commerce dans la région des Grands Lacs et dans la Communauté Economique de l’Afrique de l’Est à laquelle la RDCongo est en train d’adhérer.
Seulement voilà, celle-ci, comme toutes les autres à venir, ne doivent pas étouffer les ambitions des Congolais, avec des projets qui sont déjà en cours, qui veulent se mettre, selon le vœu du président Félix Antoine Tshisekedi, sur l’orbite des millionnaires et être compétitifs dans le cadre de la ZLECAF dont ce dernier tient le flambeau depuis son avènement à la tête de l’Union Africaine. D’ailleurs, des avantages doivent être accordés aux Congolais pour les consolider dans leur entreprise.
Le «Gouvernement des Warriors» est donc appelé à développer des politiques équivalentes comme dans les pays voisins, faisant ainsi de l’érection des raffineries des minerais sur place une priorité nationale. L’initiative de SAKIMA-CDMC qui a abouti à la société CFM (CONGO FAIR MINING) n’est pas une vue de l’esprit. C’est la duplication de l’usine de transformation industrielle du coltan de Kisengo Mining, partenaire de CDMC, laquelle usine est opérationnelle dans le Tanganyika.
Les Congolais ne doivent donc pas rester sans initiative et se plaindre des actions de leurs voisins. Ils doivent, de façon démocratique, user de tout ce que leur confère l’Etat de droit auquel ils aspirent, pour peser si leur gouvernement afin de créer vivement un avantage commercial pour leur pays. Si ce cap est gagné, ils cesseront de concurrencer leurs voisins pour leurs propres minerais. Ils utiliseront plutôt leurs propres avantages miniers et usines de fabrication pour concurrencer les producteurs occidentaux et asiatiques.
Le Congo devrait travailler pour prendre sa place légitime en tant que l’un des leaders mondiaux dans les industries où il a des avantages immenses en matière de ressources naturelles. Cela sera bénéfique pour le pays qui entend tirer le meilleur parti de la ZLECAF (Zone de Libre Echange Continental Africain). Et avec raison, Jean-Lucien Bussa, ministre congolais du Commerce extérieur, plaide pour une fiscalité alléchante, réduite, incitative à la production intérieure en vue de la relance du secteur productif congolais.
Selon lui, la fiscalité pratiquée en RDCongo doit s’arrimer à la moyenne de ce qui se passe, ce qui est pratiqué dans les pays voisins, les pays concurrents. Actif dans les accords signés à Goma entre le Rwanda et la RDCongo, l’on suppose qu’il n’a ménagé aucun effort pour préserver les intérêts du pays et ouvert un champ suffisamment large pour les opérateurs miniers nationaux.
Par Moïse Musangana